L’incroyable retentissement du pèlerinage de Chrétienté

29/05/2023

L’incroyable retentissement du pèlerinage de Chrétienté

De Rémi Fontaine pour Le Salon beige :

En dépit du Motu proprio Traditionis custodes et des nouvelles menaces restrictives qui ont suivi, la croissance du Pèlerinage de Chrétienté s’est poursuivie avec une ampleur jamais connue auparavant. Les crus de 2022 et surtout de 2023 demeureront historiques par leurs effectifs impressionnants et surprenants dans le contexte socio-politique et religieux du temps :

– 2022 avec plus de 12 000 pèlerins malgré une tempête inédite et au sortir de deux années d’interruption malheureuse à cause du covid : le nouveau « pass liturgique » (mesures coercitives de Mgr Roche avec ses responsa anticipant le rescrit du 21 février 2023) n’a pas eu l’effet contraignant et dissuasif du très totalitaire pass sanitaire et vaccinal ! Avec 10% d’inscrits en plus que 2019.

 

– 2023 avec la clôture des inscriptions (16 000) quinze jours avant le jour J pour des raisons de sécurité, et une augmentation de 33 % par rapport à l’année précédente !

 

Un tel afflux de pèlerins (qui vaut aussi dans une moindre mesure pour le pèlerinage de Chartres à Paris organisé en même temps par la Fraternité Saint-Pie X) donne à réfléchir et devrait interpeller notre hiérarchie. Ne peut-on juger l’arbre à ses fruits ? Conversions et vocations ne s’y comptent plus. « C’est un peu le GR 20 des catholiques, tous ceux qui s’y inscrivent savent qu’ils ne seront pas déçus », commente avec humour le père Danziec. Âge moyen pas loin de vingt ans ! Il y a ceux qui, comme Obélix, sont tombés tout petits dans le chaudron de cette potion magique et sont nés quasiment avec, enfants et même petits-enfants des premiers pèlerins : la troisième génération Chartres ! Il y a ceux, qui « accros », recommencent depuis plusieurs années, régulièrement ou par intermittence, célibataires ou en familles, venant de tous les horizons géographiques et de toutes les sensibilités de la sphère catholique, « tradi » ou non (40% ne sont pas habitués au rite traditionnel). Mais il y a surtout les« primo-pèlerins » qui le font donc pour la première fois. Ils se renouvellent en nombre chaque année depuis le commencement de manière croissante, cathos et mêmes non-cathos, athées, agnostiques ou d’autres religions, attirés par la réputation d’un pèlerinage dont le rayonnement et le retentissement catholique est maintenant planétaire, malgré la discrétion embarrassée de la hiérarchie.

 

Ils viennent par le bouche à oreille de la bienveillance missionnaire, aidés aussi quelquefois par les organes politiquement et religieusement incorrects de notre monde culturel présent, qui diffusent cette bonne nouvelle un peu à la manière des anciens samizdats en URSS. Même si les gros médias peuvent de moins en moins occulter cet événement dérangeant, comme en témoigne particulièrement 2023. La jeunesse appelle surtout la jeunesse : scoutisme, familles nombreuses, amis des amis, réseaux, action capillaire… selon les témoignages rapportés notamment par le Forum catholique et Famille chrétienne :

 

« On lui avait dit à plusieurs reprises que c’était LE pèlerinage à faire. Alors cette année, Bérénice a décidé de sauter le pas : “Mon frère a fait le pélé de Chartres l’année dernière et il a trouvé ça incroyable. Dans mon lycée plein de jeunes y vont, donc j’ai voulu tester…” »

 

Cette jeunesse avec sa grâce propre renvoie métaphoriquement à la jeunesse éternelle du pèlerinage et à la Tradition qui est la jeunesse de Dieu, selon le mot précieux de Dom Gérard. Voulant accrocher leur monture à une Étoile pour voyager haut, ces jeunes pèlerins « traditionalistes » de Chartres campent assurément sur des ruines – les ruines de la démolition post-conciliaire et post-soixante-huitarde ! – mais leur village de toile est porteur d’espérance car ils élargissent comme il convient l’espace de leur tente…

 

Le renouveau de la route de Chartres à la Pentecôte, c’est de manière plus intense mais aussi beaucoup plus communautaire et religieuse, comme la renaissance contemporaine de la route Saint-Jacques qui (re)mobilise chaque année des « jacquets » de partout et de toutes sortes. Venant y chercher ce que le monde actuel ne leur donne plus, ils mettent leurs pas dans la marche de leurs ancêtres pénitents. « Et leurs pas sont encore emprunts dans sa vieille poussière ! », comme dit la chanson scoute évocatrice de cette édifiante cordée spirituelle dans l’espace et le temps. Le cardinal Pie avait vu juste : « J’ose le prédire : Chartres deviendra, plus que jamais, le centre de la dévotion à Marie en Occident, on y affluera, comme autrefois, de tous les points du monde. » Ils sont aujourd’hui 1500 à y venir ainsi de l’étranger pour la Pentecôte avec une vingtaine de délégations et à eux seuls vingt-huit chapitres : pays voisins de la vieille Europe mais aussi lointains comme l’Amérique, l’Australie et l’Afrique… Par dessus les frontières, la Chrétienté tend ses mains dans une communion fraternelle qui ne doit certes pas son rayonnement qu’au seul latin !

 

Le modèle français est tel qu’à l’instar de l’exemple polonais sur lequel il a trouvé lui-même une inspiration flagrante, « notre Czestochowa national » commence à essaimer dans d’autres pays, notamment en Argentine (à Lujan), aux États-Unis (dans l’Oklahoma avec son « Chartres américain »)  et en Espagne (d’Oviedo à Covadonga). Quoiqu’en pensent beaucoup trop de nos évêques et peut-être même notre pape actuel, nous, fils de l’Église, faisons partie légitimement d’un ensemble et la pertinence de notre résistance respectueuse mais tenace, si ténue soit-elle, retentit partout et sur tous.

 

Il y a bien sûr, pour tous ces campeurs de l’Éternel, l’appel de « la messe en latin », une soif de sacré, de verticalité, de cohérence et d’exigence, bref de transcendance : la liturgie traditionnelle du vetus ordo dans laquelle « se cachent des retrouvailles avec leurs identités ». Il y a aussi l’appel de la Chrétienté qui n’existe plus mais d’où nous venons et qui survit dans des oasis, comme les appelait Benoît XVI. Cette Chrétienté pourrait bien ici et ailleurs se réanimer, ressusciter physiquement et mystiquement, autrement mieux et vitalement que dans des parcs d’attraction anachroniques comme Le Puy du Fou, autrement dit dans des réserves statiques surveillées par des « geôliers » de la Tradition, si l’on en croit l’esprit de Traditionis custodes qui nous désole et fait pleurer ! Mais cela n’explique pas tout. Le recours aux sources de la Tradition et de la Chrétienté ne suffisent pas.

 

Comme une parabole prophétique

Plus de deux ans avant ce malheureux Motu proprio, il y avait eu l’incendie de Notre-Dame de Paris (15 avril 2019), qui nous avait déjà fait pleurer comme une parabole prophétique pour notre temps de déconstruction et même de décréation, aurait dit Péguy. Cette flèche effondrée était un doigt levé vers Dieu. Mais la leçon n’aura pas suffisamment été écoutée. La France avec ses catholiques et au-delà avait pleuré ses racines subitement retrouvées, tandis que l’archevêque de la capitale rappelait qu’« une culture sans culte devient une inculture ». Un patrimoine religieux demande précisément à être transmis, réactué, pour ne pas devenir une réserve nationale qui garde plus ou moins (ir)respectueusement les œuvres du passé pour les touristes de passage… dans ce qu’il faut bien appeler une autre culture pour ne pas dire une inculture.

 

Le problème de la réforme liturgique est qu’elle a trop voulu considérer notre patrimoine liturgique, l’usus antiquior du rite romain, comme un amas de pièces qu’on peut réassembler à sa fantaisie créatrice, comme certains « restaurateurs » auraient voulu ou voudraient faire avec la belle Dame de pierres en péril. Or, pas plus qu’une cathédrale n’est un amas de pierres ou qu’une personne (fut-elle embryonnaire) n’est un amas de cellules, la messe n’est pas un amas de morceaux reconstitués, aussi archéologiques soient leurs origines. En s’en prenant à des bornes milliaires, à des repères ancrés dans l’atavisme chrétien, les réformateurs du calendrier ont ainsi agi comme les révolutionnaires qui mutilaient les chefs-d’œuvre des cathédrales. Cathédrale, personne humaine, messe catholique obéissent analogiquement à une logique organique, reposent sur une continuité historique, une harmonie, une pierre angulaire qui nous renvoie au Verbe fait chair. « Si nous retirions cette pierre, cette cathédrale s’effondrerait. Elle serait une coquille vide, un écrin sans bijou, un squelette sans vie, un corps sans âme », prévenait alors Mgr Michel Aupetit.

 

Ce que les pèlerins de la Pentecôte viennent chercher dans ces lieux de culte et de culture que sont Notre-Dame de Paris (provisoirement à Saint-Sulpice) et Notre-Dame de Chartres, c’est à la fois un culte et une culture, une culture animée par un culte, un culte avec sa culture idoine transmis par la tradition selon la vertu de religion. Une culture qui refuse de se référer à sa tradition perd son âme en même temps que son orientation, en risquant de devenir une culture de mort, une violente décivilisation, selon un nouveau gros mot célèbre. C’est ce qu’a permis de comprendre et révéler un moment l’incendie de Notre-Dame de Paris. Et c’est ce que Traditionis custodes ne nous empêchera pas de penser malgré ses desiderata qui vont à l’encontre de l’enseignement lumineux de Benoît XVI. Quand le sage montre le ciel… On aurait tort de s’arrêter au seul doigt levé de la cathédrale, si affiné et dentelé fut-il, sans voir avec lui la direction qu’il désigne, tendu vers le Dieu trinitaire et Amour. On aurait tort aussi de considérer ces jeunes pèlerins, avides de formation catéchétique et pleins de joie, comme des arriérés passéistes et nostalgiques, des « indietristes » (selon le néologisme du pape François) regardant prétendument en arrière, en s’arrêtant seulement à la piété pérenne qu’ils recherchent et manifestent, si ancienne soit-elle,  sans considérer vers Qui elle s’adresse avec une efficience certaine… Le fruit d’une culture chrétienne a une Cause première qu’on ne peut impunément dissocier et mépriser. « Sine dominico, non possumus. »

 

L’appel de Chartres ? C’est l’appel de la Vie, la Voie et la Vérité selon le mystère de l’Incarnation et de la Rédemption, que viennent entendre ces pèlerins de l’Espérance, conformément au magistère traditionnel de l’Église et à sa doctrine sociale :

 

« Notre attachement à la messe de toujours et à la doctrine immuable de l’Église est total et il est radical parce que c’est le meilleur service, le plus grand signe d’amour que nous pouvons rendre au monde et à l’Église ! » (abbé Matthieu Raffray ce dimanche de Pentecôte aux Courtils).

 

Une matière culturelle qui n’est plus informée, déterminée, animée organiquement de l’intérieur par un culte digne de ce nom devient peu à peu en effet comme un cadavre qu’on peut assurément étudier, disséquer, comme une langue morte ou une civilisation ancienne et qu’on peut aussi tragiquement oublier. Ceux qui viennent à Chartres ressentent confusément qu’il convient de se montrer dignes d’un tel héritage qu’ils risquent de perdre à tout jamais en fumées, comme Notre-Dame de Paris, alors que ce doigt qui leur montre le Ciel pourrait les sauver comme il l’a fait pour leurs aïeuls. À l’imitation de saint Jean-Marie Vianney pour l’enfant qui lui avait montré le chemin d’Ars alors menacé d’indigence spirituelle : — Notre-Dame de la Sainte Espérance, convertissez-nous ! N’oublions pas que c’est par l’intercession de Notre-Dame de Paris que les frères Charlier se sont justement convertis, dans un itinéraire personnel allant du monde moderne et même de la franc-maçonnerie à la civilisation chrétienne !

 

Depuis le début, les organisateurs du Pèlerinage de Chrétienté tendent et orientent inlassablement les trois voiles d’un vaisseau marial singulier et providentiel qui a ses ancres dans le Ciel par sa prière et sa pénitence. Ces trois voiles ont pour nom Tradition, Chrétienté et Mission. Mais ce n’est pas seulement ces trois voiles ensembles qui font avancer le navire au large de la reconquête possible : c’est manifestement l’Esprit-Saint qui souffle sur elles, comme des médiations opportunes. C’est le Saint-Esprit qui nous fait aller de l’avant ! « Vous ne voyez pas ce qui naît », disait déjà Louis Veuillot à ceux qui croyaient voir trop vite ce qui meurt…

 

Rémi Fontaine