Le blog du Temps de l'Immaculée.

4 Leçons Inattendues de Taybeh, le Dernier Village Chrétien de Cisjordanie

28/10/2025

4 Leçons Inattendues de Taybeh, le Dernier Village Chrétien de Cisjordanie

« Vengeance ! » Le graffiti en hébreu, tracé sur un mur de pierre à Taybeh, fait très peur. À quelques pas, une voiture entièrement carbonisée offre son squelette de ferraille aux collines. On imagine souvent qu'un cessez-le-feu marque la fin des souffrances, mais pour les habitants de ce village, le dernier entièrement chrétien de Cisjordanie, cette idée sonne creux. Assiégés par les colonies israéliennes et les restrictions, leur quotidien est une épreuve qui se poursuit bien loin des gros titres sur Gaza.

La vie à Taybeh est marquée par une pression constante, une lutte sourde qui ne s'arrête pas avec les accords signés à des kilomètres de là. À travers les témoignages poignants de ses habitants relevés par Samuel Pruvost de Famille Chrétienne, ce village millénaire nous offre quatre leçons surprenantes sur la résilience, la foi et la complexité d'un conflit où la paix reste un horizon lointain.

 

Pour eux, le cessez-le-feu ne change presque rien
Si la trêve à Gaza est perçue comme une bonne nouvelle, son impact sur la vie pratique à Taybeh est quasi nul. Pour les habitants, c'est un « poids psychologique » en moins, la fin des bombardements sur leurs « frères », mais la réalité de leur isolement demeure inchangée. Le village reste encerclé par les colonies juives d'Allosaurus, Kohav Hasor et Rimoni à l'est, et Ofra et Amona à l'ouest. Les restrictions de mouvement sont toujours en place, comme l'interdiction formelle de se rendre à Jérusalem depuis le 7 octobre 2023.


Cette stagnation est parfaitement résumée par Natalia, une jeune dentiste du village, dont les mots traduisent un soulagement teinté d'amertume :
« Le cessez-le-feu nous enlève un poids psychologique, parce que nos frères ne sont plus sous les bombes. Mais ça ne change rien du point de vue pratique. »
Pire encore, l'avenir immédiat suscite l'inquiétude. Sanad, le directeur de la radio Nabd El-Haya (« Le Pouls de la Vie »), craint que la situation n'empire avec l'arrivée potentielle en Cisjordanie des soldats stationnés à Gaza, réputés pour leur agressivité. Pour Taybeh, la fin des combats au loin ne signifie pas la fin de l'étau qui se resserre.

 

 La résistance se fait par la bière, l'emploi et les ondes radio
Face à une oppression qui s'exprime par un taux de chômage avoisinant les 60 % et des attaques de colons sur leurs oliveraies, la résilience de Taybeh prend des formes inattendues et créatives. C'est une résistance économique et culturelle menée pour simplement continuer d'exister.


Cette persévérance est incarnée par Madees, une quinquagénaire née à Boston. Revenue pleine d'espoir en 1993 après les accords d'Oslo, elle se présente aujourd'hui fièrement comme la « seule femme à brasser de la bière au Proche-Orient ». Sa brasserie familiale est un acte de foi en l'avenir. Dans le même esprit, Abouna Bashar Fawadleh, le jeune curé de la paroisse latine agissant en véritable homme-orchestre, a créé plus de soixante-dix emplois pour freiner l'exode des familles, dont plus de dix sont parties depuis le 7 octobre. Enfin, la radio Nabd El-Haya diffuse en arabe, anglais et français, portant la voix de Taybeh bien au-delà des collines qui l'enserrent.


Ces initiatives sont d'autant plus remarquables qu'elles naissent dans un contexte de privations profondes, comme le souligne Madees, dont l'optimisme d'antan a fait place à une lucidité amère :
« La vie à Taybeh n’est pas comparable à celle que vous avez en Europe : en Cisjordanie, vous n’avez pas de liberté, vous ne pouvez pas aller prier à Jérusalem ni vous détendre sur la plage à Tel-Aviv ! »

 

Une amitié « impossible » entre un prêtre et un colon
Au cœur des tensions les plus vives, Abouna Jack Nobel Abed, curé de la paroisse melkite catholique, défend farouchement le droit de sa communauté à exister sur cette terre. Sa détermination est sans faille.
« Mais nos racines sont si profondes que ceux qui veulent nous déraciner subiront les feux de l’enfer ! »


Pourtant, cette posture intransigeante s'accompagne d'une philosophie surprenante : une « résistance non violente » qui vise à « faire tomber les murs qui séparent ». L'exemple le plus significatif est son amitié avec Jabo, un archéologue vivant dans la colonie voisine d'Ofra. Jabo a été tué l’année dernière dans le sud du Liban. Les deux hommes se retrouvaient pour discuter des textes bibliques, en évitant la politique. Abouna Jack était le « seul arabe chrétien à entrer dans la colonie ». Pour le premier anniversaire de son décès, la famille de Jabo a invité le prêtre, preuve que ce lien unique, forgé au cœur de l'impossible, a laissé une trace durable.

 

Le poids de l'histoire : vivre là où Jésus s'est réfugié
Taybeh n'est pas un village comme les autres. Ancienne cité d'Ephraïm mentionnée dans l'Ancien Testament, son histoire est inscrite dans les pages de la Bible. C'est ici, dans cette « cité refuge », que Jésus lui-même s'est retiré avec ses disciples avant sa Passion, car il ne pouvait « circuler librement à Jérusalem » (Jn 11, 54). De ses 900 mètres d’altitude, on peut deviner les reliefs de la Jordanie, la vallée du Jourdain et le reflet lumineux de la mer Morte, un site stratégique depuis des millénaires.

 

Ce parallèle historique est saisissant : deux mille ans plus tard, les chrétiens palestiniens de Taybeh sont à leur tour interdits d'accès à la Ville sainte. Leur présence ici est un héritage vivant. Les oliviers de Nadim, qui remontent à l'époque romaine, en sont la preuve tangible, tout comme sa fière déclaration face aux menaces :
« Mes ancêtres vivent ici depuis six cents ans ! »

 

Cette richesse historique est malheureusement aussi une source de conflit. L'incendie criminel allumé par des colons près des ruines de l'église byzantine Saint-Georges rappelle que chaque pierre, chaque arbre de cette terre est un enjeu. Vivre à Taybeh, c'est porter le poids et la fierté d'une histoire qui continue de s'écrire dans la douleur.

 

 

Taybeh est un lieu de paradoxes. C'est un refuge de foi et d'histoire profonde, mais aussi la ligne de front d'une lutte quotidienne pour la survie et la dignité. Ses habitants, par leurs initiatives économiques, leurs dialogues improbables et leur attachement viscéral à leur terre, montrent que la paix ne se décrète pas. Leur histoire pose une question essentielle qui résonne bien au-delà de leurs collines : quel avenir est possible pour une nation si son futur dépend d'un accord avec des voisins qui, eux, ne partiront jamais ?