Le blog du Temps de l'Immaculée.
21/10/2025
Peu en ont parlé, hormis ceux qui pouvaient s’en réjouir. Le 13 octobre dernier, le pape Léon XIV a reçu en audience, à l’occasion du 160e anniversaire de sa naissance, les membres d’une association espagnole qui fait vivre la mémoire du cardinal Merry del Val, personnalité quelque peu abandonnée dans la Rome d’après Vatican II. Et pour cause : éminent bras droit de saint Pie X, il eut l’honneur d’être une figure emblématique du clergé antimoderniste de l’époque, contribuant à l’annulation des ordinations anglicanes, ou œuvrant pour l’encyclique Pascendi Dominici gregis de 1907.
Reprenant le fil rouge de ses « Litanies de l’humilité », bien connues, Léon XIV a dressé un portrait véritablement élogieux de ce grand homme d’Eglise qui a vécu « dans la fidélité à l’Evangile et la liberté d’esprit » (comprendre : la liberté par rapport au monde).
Son prédécesseur, François, avait lui aussi beaucoup parlé de l’humilité, cette vertu « qui sauve l’homme », en route vers le Ciel… Mais, exactement comme ce qu’a dit Roberto de Mattei de la pauvreté dans Dilexi te, cité ici par Jeanne Smits, « l’approche n’est pas la même ». Dans ce discours, Léon XIV semble faire sienne la conviction du cardinal Merry del Val : l’homme n’est vraiment humble qu’en tant qu’il sert d’outil à la Vérité. C’est en ce sens qu’il fut foncièrement anti-libéral. Si l’hommage du pape est, en soi, justifié, il détonne en des temps si troublés.
L’hommage à celui qui ne souffrit aucune « compromission »
A un cardinal qui l’interrogeait sur les raisons pour lesquelles il avait choisi un Secrétaire d’Etat aussi jeune (Rafael Merry del Val avait 38 ans), Pie X qui venait d’être élu répondit : « Je l’ai choisi parce qu’il est polyglotte : né en Angleterre, éduqué en Belgique, espagnol de nationalité, il a vécu en Italie ; fils de diplomate et diplomate lui-même, il connaît les problèmes de tous les pays. Il est très modeste, il est un saint. Il vient ici tous les matins et m’informe de toutes les questions du monde. Je ne dois jamais lui faire une observation. Et puis, il n’a pas de compromissions. »
Ces mots résument parfaitement la personne de Rafael Merry del Val, cet aristocrate né de père espagnol et de mère irlandaise, qui n’avait jamais aspiré à mener la vie qui fut la sienne au cœur même du Vatican, mais trouva « dans l’obéissance la perfection de sa vocation », comme l’a si bien dit Roberto de Mattei. L’œuvre d’apostolat dont il rêvait (il fut néanmoins très présent pour les jeunes du Trastevere) fut consacrée à l’Eglise et à la préservation de sa doctrine – sans « compromission » aucune.
Une autre manière de s’occuper de ces âmes pour lesquelles il voulait tout donner. Léon XIV rappela que le cardinal ne voulut voir qu’une seule inscription sur sa tombe, aujourd’hui dans la crypte de Saint-Pierre, à savoir sa devise épiscopale : Da mihi animas, cetera tolle, donne-moi les âmes, prends tout le reste. Les voies de Dieu ne sont pas toujours, et même pas souvent les nôtres.
« L’une des figures les plus marquantes de la diplomatie papale du XXe siècle » (Léon XIV)
Le parcours curial du cardinal Rafael Merry del Val fut des plus rapides. Ordonné prêtre à 23 ans, il est nommé camérier secret participant à 26 ans, puis délégué apostolique au Canada à 31 ans, archevêque à 34 ans, cardinal à 38 ans, enfin archiprêtre de la basilique Saint-Pierre à 48 ans et secrétaire du Saint-Office à 49 ans. « Sa jeunesse, cependant, ne constitua pas un obstacle, car l’histoire de l’Eglise enseigne que la véritable maturité ne dépend pas de l’âge, mais de l’identification à la mesure de la plénitude du Christ » rappela Léon XIV.
C’est lui qui fut chargé par le pape Léon XIII d’examiner la validité des ordres anglicans : la bulle papale Apostolicae curae de 1896 déclara, in fine, les ordinations anglicanes « absolument nulles et non avenues ». Lors de la crise de 1905, en France, il orienta et soutint la position de Giuseppe Sarto, devenu le pape Pie X, qui refusa tout net que les biens de l’Eglise soient gérés par des associations dites cultuelles : la France perdait d’un seul coup tout son patrimoine, mais recouvrait par là-même sa pleine liberté, son indépendance vis-à-vis du pouvoir et de la politique dans laquelle elle baignait depuis trop longtemps. Il s’investira également contre la laïcisation de l’enseignement sous la IIIe République et invitera l’épiscopat français à lutter pour une école libre, à savoir catholique.
Quant à la lutte contre le modernisme, il en fut un des fleurons, sans qu’il soit aisé de dissocier son œuvre de celle de saint Pie X dont il fut le fils et l’ami, comme il l’écrivit plus tard, durant onze années. Comme lui, il percevait la grave crise de la foi qui pouvait en résulter. Et en 1907, l’encyclique Pascendi Dominici gregis était publiée qui définissait le modernisme comme « la synthèse de toutes les hérésies », parce qu’elle dissolvait le dogme dans l’expérience personnelle : le fils préféré du libéralisme. Les prêtres Alfred Loisy et George Tyrrell, instigateurs du mouvement, furent excommuniés.
La vie du cardinal Merry de Val : « un trésor de témoignage chrétien » pour le pape
Intégralisme ? Autoritarisme ? Il apparaît qu’à ce combat difficile, le cardinal ait toujours lié une pratique profonde de la vertu d’humilité. Léon XIV cite ses Litanies que son auteur récitait chaque jour : « Du désir d’être estimé (…) Du désir d’être consulté (…) De la peur d’être humilié (…) Du désir d’être approuvé… délivre-moi, ô Jésus ! » « La véritable autorité ne repose ni sur les fonctions ni sur les titres, mais sur la liberté de servir, même loin des projecteurs », continue le pape. Or la liberté, c’est le Bien, c’est la Vérité. Pas d’humilité sans Vérité.
« La fécondité de la vie chrétienne ne dépend pas de l’approbation humaine, mais de la persévérance de ceux qui, unis au Christ comme le sarment à la vigne, portent du fruit en leur saison », nous dit le pape, soit de leur adéquation avec l’approbation divine, signifiée dans la doctrine et la Tradition qui nous ont été léguées. L’exemple du cardinal Merry del Val, a déclaré le pape Léon XIV, devrait inspirer ceux qui servent l’Eglise « à unir vérité et charité, prudence et audace, service et humilité, afin qu’en tout seul le Christ resplendisse ».
On est loin de « l’humilité sociale » défendue par le pape François, qui prônait au Brésil, en 2013, « la culture du dialogue » aussi bien entre personnes qu’entre grandes traditions religieuses. Elle ne doit pas devenir le prétexte d’un abaissement pour l’Eglise et son message. Mourir à soi-même et magnifier le Christ, à travers l’Eglise, ce sont les deux pendants d’un seul et même mouvement.
Le pape Léon XIV aurait-il perçu et voulu montrer cette précieuse nuance ? En posant ces mots, il réhabilite en tous les cas une figure largement décriée par les tenants du libéralisme qui a fait et fait encore des ravages dans l’Eglise. Son dossier de béatification, ouvert en 1953, une grosse décennie après sa mort, est évidemment resté lettre morte.
Clémentine Jallais dans RITV