Le blog du Temps de l'Immaculée.
12/11/2025
Nous avons vu quelle femme de foi et de cœur fut la mère d’Antoine de Saint-Exupéry. Mais qui s’est intéressé à l’influence décisive que cette dernière exerça sur le père du Petit Prince ? Il lui doit pourtant le meilleur de lui-même.
Ce sont les circonstances qui ont favorisé la proximité entre mère et fils, proximité émouvante et féconde, bien qu’excessivement fusionnelle parfois. Après la mort brutale de son père, en 1904 - il a 4 ans -, puis de son frère cadet en 1917 - il en a alors 17 -, voilà Antoine devenu le seul homme de la maison. Veuve et mère éprouvée, Marie s’appuie sur ce fils un brin capricieux mais si aimant, qu’elle avait imploré saint Antoine de lui donner, après la naissance de deux filles.
Une relation privilégiée
Empreinte d’une touchante délicatesse, leur correspondance, partiellement dévoilée au grand public, ne laisse aucun doute : ces deux-là s’aimaient d’amour tendre et Antoine n’aurait pas rejoint la cohorte de nos grands écrivains et poètes français experts en humanité s’il n’avait été profondément influencé par sa mère.
Enfant, il lui assurait fièrement : "Vous êtes fatiguée, maman, appuyez-vous sur moi, je suis votre chevalier !". Adolescent, il ne cesse de lui répéter combien il lui est attaché, combien il l’aime "du fond du cœur". Homme mûr, désespéré par l’affaissement moral et spirituel de la France occupée, il lui écrit quatre ans avant sa mort : "J’ai infiniment besoin de votre tendresse, maman chérie, ma petite maman. Pourquoi faut-il que tout ce que j’aime sur terre soit menacé ? (…) La seule fontaine rafraîchissante, je la trouve dans certains souvenirs d’enfance."
Quelle mère ne rêverait se d’entendre dire "Dites-vous bien que de toutes les tendresses la vôtre est la plus précieuse et que l'on revient dans vos bras aux minutes lourdes. Et que l'on a besoin de vous, comme un petit enfant, souvent. Et que vous êtes un grand réservoir de paix et que votre image rassure autant que lorsque vous donniez du lait à vos tout-petits." ? (Lettre de 1930).
Une influence bienfaisante et protectrice
De fait, Marie a transmis à son fils son amour du beau, son attachement aux valeurs morales (courage, obéissance, sens du devoir), son goût pour le silence et l’intériorité, sa foi en la dignité de tout être, quel qu’il soit. Convaincue du talent d’Antoine, elle ne cessa de l’encourager à écrire et eut la primeur de presque tous ses manuscrits. La quintessence de l’œuvre de Saint-Exupéry, son humanisme tourmenté, ses appels désespérés pour la sauvegarde de la civilisation, sa quête des cimes lui viennent de sa mère, sa fée tutélaire. Ne lui doit-il pas d’avoir eu souvent la vie sauve, lui qui bravait parfois le danger avec un zeste d’inconscience ou la fougue d’un conquérant ?
Ceux pour qui la communion des saints est une réalité tangible n’en douteront pas : Marie prie sans cesse pour son fils, le recommande au Tout-Puissant au cours de messes en semaine, le confie à ses deux enfants appelés auprès du Père, François et Marie-Madeleine ("que nos anges veillent sur toi" lui écrit-elle en septembre 1939, au début de la guerre).
Quand Antoine, en 1935, s’écrase en avion dans le désert libyen et manque d’y laisser sa peau, sa mère exhorte ses proches convaincus de sa mort à prier encore et à croire au miracle. Exaucée, elle se rend à Assise dans le couvent de Saint-Damien pour rendre grâce à Dieu et remercier le Poverello pour son intercession. Le pilote lui avoue d’ailleurs que c’est avant tout son image qui lui a permis de tenir pendant ces trois jours d’errance où la chaleur et la soif faillirent avoir raison de lui. Ne l’a-t-il pas toujours considérée comme "son ange gardienne" ?
Médiatrice auprès du Père
Marie ne s’est pas contentée d’implorer le Seigneur pour la protection de son fils. Meurtrie que ce dernier ait perdu Sa trace après la mort de son petit frère, elle ne cessa jamais de prier pour qu’il retrouve la foi. En 1940, elle adresse à Antoine ces mots bouleversants : "Je voudrais que tu sois en paix, je dis au bon Dieu que je prends tout sur moi, tout ce qui dans ta vie a pu être imparfait, je Lui dis aussi que tu as fait beaucoup de bien, que tes livres ont réveillé beaucoup d'âmes."
Telle sainte Monique, la mère de saint Augustin, elle ne perdit jamais l’espoir d’être exaucée un jour… et ce jour vint. Plus d’un an après la disparition de son fils, en septembre 1945, elle eut une vision qu’elle transcrivit dans un poème : Antoine dans la maison du Père accueilli par tous ses proches morts avant lui…
Ce que le livre posthume de l’écrivain poète Citadelle lui faisait pressentir se révélait donc vrai : à la toute fin de sa traversée terrestre, l’auteur du Petit Prince avait retrouvé le Dieu de son enfance ! Dans cet ultime manuscrit, Antoine n’écrivait-il pas, sans doute en mémoire de sa foi en la vertu des prières maternelles : "Je ne connais qu'un acte fertile qui est la prière, mais je connais aussi que tout acte est prière s'il est don de soi pour devenir." ? L’une des nombreuses apostrophes adressées au Créateur par un vieux souverain du désert, personnage-clé de ce recueil : "Seigneur, je vais à toi, selon ta grâce, le long de la pente qui fait devenir" ne fait-elle pas écho à une exhortation de sa mère, après la parution de Courrier Sud en 1929, soit 15 ans plus tôt "Abandonne-toi au Seigneur, répète-Lui chaque jour : Seigneur je vais à Toi selon Ta grâce. Ta foi n'est pas éteinte puisque tu n'as pas perdu l'essentiel : le goût de Dieu." ? Cette lecture avait convaincu Marie que son fils était revenu à Dieu. Sa vision acheva de l’en convaincre et lui rendit la paix, paix qu’elle avait imploré le Père de lui donner : "Mon Dieu, vous m'avez tout repris/ Donnez-moi la paix à ce prix."
Raphaëlle Coquebert dans ALETEIA
Lettres à sa mère, Antoine de Saint-Exupéry, Gallimard, 1997, 8 euros.