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Esclavage en Méditerranée : L’histoire oubliée de la traite barbaresque

13/12/2025

Esclavage en Méditerranée : L’histoire oubliée de la traite barbaresque

Alors que les débats sur la mémoire coloniale et les demandes de réparations adressées à la France par l'Algérie occupent régulièrement l'espace médiatique, un article de Marie-Claude Mosimann-Barbier pour Le Figaro Histoire vient bousculer la perspective. Dans « Et si l’on demandait réparation à Alger... », l'historienne exhume le passé douloureux de la traite en terre d'Islam et le sort des millions de captifs, africains et européens, réduits en esclavage au Maghreb durant des siècles. Retour sur une page d'histoire souvent occultée.

Un passé sous domination étrangère
L'article débute par un rappel historique essentiel : avant la colonisation française de 1830, la région qui deviendra l'Algérie a vécu sous une domination étrangère quasi continue pendant des siècles (romaine, arabe, puis ottomane). L'auteure souligne le paradoxe d'une mémoire sélective qui semble avoir effacé la participation active des régences barbaresques (Alger, Tunis, Tripoli) à un vaste système esclavagiste.

 

L'ampleur de la traite arabo-musulmane
Marie-Claude Mosimann-Barbier remet en perspective la chronologie de l'esclavage. Bien avant la traite atlantique, la traite transsaharienne drainait des millions d'Africains vers le Maghreb et le Moyen-Orient dès le VIIe siècle.

Les chiffres : L'auteure cite les estimations des spécialistes (comme Olivier Grenouilleau) évaluant à près de 18 millions le nombre de victimes africaines de la traite arabo-musulmane, contre 11 à 12 millions pour la traite atlantique.

 

Le sort des captifs : Les hommes étaient souvent castrés ou envoyés aux galères, les femmes destinées aux harems, avec une mortalité effrayante.

 

La « traite des Blancs » : razzias et piraterie
L'article met surtout l'accent sur un volet méconnu : l'esclavage des chrétiens européens. Sous la suzeraineté ottomane, Alger et les ports barbaresques deviennent les plaques tournantes d'une industrie de la capture.

 

Un phénomène massif : L'historien Robert C. Davis estime qu'entre le XVIe et le XVIIIe siècle, environ un million d'Européens de l'Ouest et près de trois millions d'Européens de l'Est ont été réduits en esclavage.

 

Modes opératoires : Les pirates barbaresques ne se contentaient pas d'attaquer les navires (« la course ») ; ils menaient de véritables razzias sur les côtes d'Espagne, d'Italie, et de Provence, vidant parfois des villages entiers de leurs habitants.

 

La réponse de la Chrétienté : payer ou combattre
Face à ces exactions et aux conditions de détention terribles (tortures, empalements, travaux forcés), l'Europe s'organise. Dès le Moyen-Âge, des ordres religieux « rédempteurs » voient le jour, tels que les Trinitaires (fondés en 1198) et les Mercédaires (1218). Ces religieux collectaient des fonds pour payer les rançons ou s'offraient eux-mêmes en otage pour libérer les captifs, parmi lesquels figurait le célèbre Cervantès.

 

L'article rappelle enfin que ce sont les interventions militaires occidentales (bombardements de Louis XIV, guerres menées par les États-Unis au début du XIXe siècle) et finalement la prise d'Alger par la France en 1830 qui mirent un terme définitif à cette traite.

 

Cet article du Figaro Histoire offre un contrepoint saisissant aux discours unilatéraux sur la colonisation. En documentant la réalité brutale de l'esclavage en Barbarie, Marie-Claude Mosimann-Barbier ne cherche pas à excuser les fautes de la colonisation ultérieure, mais à rappeler que l'histoire méditerranéenne est faite de blessures partagées. Elle souligne que la mémoire de l'esclavage ne doit pas être sélective : les souffrances des millions de captifs, qu'ils soient Africains subsahariens ou Européens, razziés et asservis au Maghreb, méritent elles aussi de figurer dans nos livres d'histoire.

 

 

Marie-Claude Mosimann-Barbier est maître de conférences honoraire de l’École normale supérieure de Paris-Saclay, membre du GRER (groupe de recherche sur le racisme et l’eugénisme) de l’université Paris-Cité.